Licenciement : vue générale, procédure...

                         Revers pour les salariés le barème dit « MACRON » validé par la cour de cassation


LE BARÈME "MACRON", LA LOI, LE JUGE ET LA JUSTICE...

Depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, le juge prud’homal qui estime qu’un licenciement est sans cause réelle et sérieuse, doit se référer à un barème dit « Macron » pour évaluer le montant de l’indemnité accordée au salarié [1]. Ce dispositif a fait l’objet de nombreux débats et de décisions judiciaires opposées. La position adoptée par la Cour de cassation le 11 mai 2022 validant ce barème est -elle vraiment définitive ?
 

Différents conseils de Prud’hommes et des cours d’appel ont écarté l’application de ce barème, en le jugeant contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à l’article 24 de la charte sociale européenne, qui prévoient le droit à une « indemnité adéquate » ou toute autre « réparation appropriée ».

Les critiques dénoncent notamment l’indemnisation considérée comme insuffisante pour les salariés licenciés ayant une faible ancienneté, pour la plupart inférieure à 2 ou 3 ans. Le montant de l’indemnité étant au maximum de 3,5 mois de salaire brut pour les salariés ayant 2 ans d’ancienneté et de 4 mois pour ceux comptant 3 ans d’ancienneté, ce qui a tendance à dissuader les victimes d’un licenciement abusif de saisir le juge.

Par exemple, comment aurait-on pu considérer comme juste une indemnité limitée par le barème à 1/2 mois de salaire, dans le cas où le préjudice de la perte d’emploi ne permettait à l’intéressée, contrainte de travailler sous le statut d’autoentrepreneur et de payer elle-même ses cotisations sociales, de ne bénéficier ni des allocations chômage ni d’indemnités de rupture, alors qu’elle était seule avec deux enfants à charge ? Le juge a fort heureusement requalifié les relations contractuelles en CDI à temps plein, a écarté le barème et accordé 12 000 euros (soit 6 mois de salaire de dommages et intérêts) estimant que le barème était "dérisoire" et non dissuasif de procéder à des licenciements abusifs [2].

La cour de cassation qui s’était déjà exprimée par deux avis en faveur du dispositif le 17 juillet 2019 a confirmé pour la première fois à l’occasion de deux pourvois sa position en validant le barème contesté par deux arrêts de principe imposant son application [3].


Exceptions.

Ne sont pas soumis à ce barème les licenciements frappés de nullité dans les cas expressément prévus par la loi ou intervenus en violation d'une liberté fondamentale. Le juge peut alors apprécier librement l'indemnisation au regard du préjudice constaté avec un minimum de six mois de salaire à défaut de réintégration du salarié [4].

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d’une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel [5] ;
3° Un licenciement discriminatoire [6] ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes [7], ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d’un salarié protégé en raison de l’exercice de son mandat [8] ;
6° Un licenciement en méconnaissance des protections liées à la maternité, à la paternité, l’adoption, aux périodes de suspension du contrat suite d’accidents du travail ou de maladies professionnelles [9].


L’appréciation souveraine du juge limitée.

Ce barème encadre le montant de l’indemnisation dans une fourchette minimum / maximum et s’applique en quelque sorte à tous, en fonction de l’effectif de l’entreprise et l’ancienneté du salarié.

Mais encore, l’article L1235-3 du Code du travail permet au juge de tenir compte du montant des indemnités de licenciement versées au salarié dépassant le minimum légal pour éventuellement diminuer les dommages et intérêts.

Pourtant, le préjudice résultant de la perte d’un emploi est nécessairement empreint d’individualité et son évaluation souveraine par les juges du fond est fondamentale, principe affirmé par la cour de cassation jusqu’alors : « la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue » [10].

Par comparaison avec d’autres types de contentieux, immobilier, commerce, dommages corporels, etc.) : « L’appréciation de l’existence et de l’étendue du préjudice, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, échappe au contrôle de la Cour de cassation » [11] ; « La cour d’appel a évalué souverainement l’existence et l’étendue du préjudice subi ; (…) que le moyen, qui ne tend qu’à remettre en cause ce pouvoir, n’est pas fondé » [12] ; « la cour d’appel, qui a apprécié souverainement les conclusions expertales et les preuves produites « ... » a justifié sa décision » [13].

Certes, malgré le barème fixé, le juge peut toujours apprécier l’étendue du préjudice mais sans pouvoir l’indemniser librement.


La décision de la Cour de cassation marque-t-elle pour autant la fin de l’histoire ?

Pas sûr. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ou la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pourraient peut-être en décider autrement.

En attendant, les hauts magistrats français ont littéralement balayé l’article 24 de la Charte sociale européenne qui prévoit que les États s’engagent à reconnaître le droit des salariés licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ; et l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui prévoit qu’en cas de licenciement injustifié, le juge devra être habilité à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée [14].

Pourtant, la première avocate générale avait clôturé les débats en faveur d’un contrôle in concreto des juges du fond à l’aide de critères d’appréciation alors fixés par la Cour de cassation. L’avocat général s’exprime au nom de l’intérêt général en vertu de l’article L432-1 du Code de l’organisation judiciaire, le parquet général « rend des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun. Il éclaire la Cour sur la portée de la décision à intervenir ».

En outre, le rapport du Directeur Général de l’OIT du 16 février 2022 souligne qu’avec ce barème français « le pouvoir d’appréciation du juge apparaît ipso facto contraint » et « qu’il n’est pas a priori exclu que, dans certains cas, le préjudice subi soit tel qu’il puisse ne pas être réparé à la hauteur de ce qu’il serait juste d’accorder ».


Position du Comité européen des droits sociaux (CEDS).

Chargé de veiller à la bonne application des dispositions de la Charte sociale européenne, le Comité européen des droits sociaux a par exemple déclaré contraire à l’article 24, le système (similaire au barème Macron) de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié, institué en 2015 en Italie [15]. Le Comité a conclu, par 11 voix contre 3, qu’il y avait eu violation de l’article 24 de la Charte.

Le dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement finlandais a également été jugé injustifié, par le Comité européen des droits sociaux (CEDS). Ce dernier a, en effet, considéré, dans sa décision du 8 septembre 2016 [16], que la Finlande avait violé l’article 24 de la Charte sociale européenne (CSE).

En toute hypothèse, même si pour la Cour de cassation, l’article 24 de la charte n’a pas d’effet direct en droit français, il n’en reste pas moins que pour une grande partie des juristes et des citoyens, l’esprit du droit et le sens de la justice ne saurait à plus ou moins long terme se contenter d’un barème privant les juges du pouvoir d’apprécier souverainement un préjudice et sa juste indemnisation, sachant que les conseils de Prud’hommes et les cours d’appel, peut-être plus proches de la réalité, pourraient être tentés de résister à la haute cour qui, contre vents et marées et par sagesse a déjà su faire évoluer sa jurisprudence...

 Le Conseil d’État, dans l’arrêt « Fischer » du 10 février 2014 avait considéré que : « les stipulations de l’article 24 de la charte sociale européenne produisent des effets directs en droit interne » [17].

« La jurisprudence est (...) une source du droit, tout en ne l’étant pas, bien qu’elle le soit » [18]


Notes de l'article:

[1] Art. L1235-3 c. trav.
[2] CPH Bordeaux 9 avril 2019 n° RG F 18/00659.
[3] Cass. soc. 11 mai 2022, n° 21-14490 FPBR ; Cass. soc. 11 mai 2022, n° 21-15247 FPR.
[4] Art. L1235-3-1 c. trav.
[5] Art. L1152-3 et L1153-4 c. trav.
[6] Art. L1132-4 et L1134-4 c. trav.
[7] Art. L1144-3 c. trav.
[8] Art. L2411-1 et L2412-1 c. trav.
[9] Art. L1225-71 et L1226-13 c. trav.
[10] Cass soc 13 septembre 2017, 16-13578 ; Cass soc 8 janvier 2020, n° 18-21930.
[11] Cass. civ. 16 janvier 2007 n° 04-12908.
[12] Cass, com. 6 novembre 2007 n° 05-15152.
[13] Cass. crim. 5 novembre 2019, n° 18-85549.
[14] Cass Soc. Statuant en formation plénière le 11 mai 2022 n° 21-14490 et 21-15247.
[15] Confédération Générale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie, 11 septembre 2019 n° 158/2017.
[16] Finnish Society of Social Rights c. Finlande.
[17] CE, 10 février 2014, 7ème et 2ème sous sections réunies, n° 358992.
[18] Ph. Malaurie, P. Morvan, Introduction générale : Defrénois, 3e éd., 2009, p. 185.


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